Le Printemps

Comme à son habitude, Anna était en retard. Je commandai une bière au serveur efflanqué des Bons amis qui prit commande sans me regarder. Une fille passait. Sa jupe, légère et vaporeuse, coulait autour de son corps comme un moule actionné qui, à chaque pas, se fondait à son corps. Il ouvrit la bouche une fois. Puis deux. Et retourna à son comptoir. Je la suivis des yeux jusqu’à ce qu’elle devienne un petit point, loin. Des soubresauts de fesses qui s’estompent peu à peu.

Il faisait chaud de nouveau, et Belleville s’étoffait de vert. Ma bière apparut sur la table comme par enchantement. Anna traversait le passage piéton sans regarder. Je lui fis signe. Elle me sourit, se dirigea vers les rares tables de la terrasse où, touristes penchés sur leurs guides, hommes esseulés et vicelards, lycéens, couples légitimes et illégitimes, mâles et femelles de tout genre, se vautraient dans les premiers rayons de soleil ; me fit un geste que je jugeai confus, puis, très simplement, passa son chemin.

Je me vis crier son nom, renverser les tables et la rattraper. QU’EST-CE QUE TU FOUS ANNA?

Mais je restai coi. J’eus la sensation nette que je ne la reverrai pas et aussitôt son cul me manqua. Et sa peau. Et son odeur.

Je pris deux bières. Puis trois. J’observai les jambes des filles qui passaient et essayai de deviner la forme de leur cul à celle de leurs jambes. J’eus quelques surprises.

Deux heures après, Anna revint. Pour me dire qu’elle me quittait. Je ne trouvai rien d’autre que de remettre mes lunettes de soleil. Je notai un petit tremblement sur sa lèvre inférieure, presque imperceptible. (Ou était-ce moi ?). Toujours est-il que je lui en fis part. Quoi ? Ses yeux glissèrent sur moi pour se fixer loin sur le boulevard. Elle portait un tee-shirt moulant et j’avais envie de lui dire que c’était vraiment dégueulasse. Je me penchai vers elle et murmurai. ANNA. J’entendais son prénom, comme un gong, en écho dans ma tête. J’aurai préféré crever plutôt que de la garder là une minute de plus.

– « Fous l’camp Anna », je lui dis, « que je regarde ton cul une dernière fois ».

 

Publié par Les ateliers de traverse

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